Contexte :
Suite à un appel à grève au niveau nationale de plusieurs organisations syndicales de l’éducation pour le mardi 3 octobre 2023, nous (représentant.e.s et déchargées syndicales locales*) avons proposé aux AESH du territoire, un rassemblement devant le Rectorat ce mardi 3 octobre à 12h30. Car, conscient.e.s de la difficulté de chacun.e pour se mettre en grève (une journée de salaire perdue, des élèves et des collègues à abandonner) nous avons décidé de faire de cet appel, une occasion pour parler et faire parler de nous.
Actions :
Nous avons donc invité plusieurs médias et journalistes à nous rejoindre pour communiquer auprès d’un large public sur les conditions actuelles de l’exercice de notre métier et des revendications que nous portons. Plusieurs médias ont répondu à notre appel, et nous en les remercions (France 3 Picardie qui en a fait un sujet le soir même, voir le reportage ici à 3 min 10 France bleu Picardie qui a relayé les informations sur les ondes radio au cours de la journée, Insoumission qui en a fait un webarticle).
Par ailleurs, nous avions demandé à être reçu.e.s par Monsieur le Recteur ainsi que par des personnels du Service de l’Ecole Inclusive. Ce qui fut honoré malgré le court délai laissé au service rectoral pour s’organiser, et nous en les remercions. Une délégation constituée de 5 personnes a donc été invitée à discuter avec Monsieur le Recteur de l’Académie d’Amiens (M. Pierre MOYA) et la Secrétaire Générale du Recteur (Mme Catherine BELLET-LEMOINE), son Directeur de Cabinet (M. Eric ALEXANDRE) et son adjoint (M. Romain DELARUELLE). Du côté des AESH, étaient présentes à cette rencontre, Chloé (AESH), Angèle (AESH), Carole PROMPSY (secrétaire adjointe départementale de la CGT Educ’Action 80), Hélène RAPACCIOLI (représentante syndicale du SNES-FSU 80 et AESH) et Carla LEROY (militante syndicale SUD Education 80 et AESH).
Points abordés :
La rencontre a duré une trentaine de minutes. Nous avons débuté la séance par expliciter les revendications nationales portées par les organisations syndicales présentes pour cette journée de mobilisation puis nous nous sommes appuyés sur des exemples concrets de dysfonctionnements locaux pour répondre aux échanges avec Monsieur le Recteur.
- La revalorisation salariale (temps partiel imposé, SMIC)
- La création d’un véritable statut (formations, qualifications)
- L’abandon du projet de fusion des fonctions AED et AESH (ARE)
- Mettre fin aux PIAL (repenser l’organisation des services AESH)
1. La revalorisation salariale (temps partiel imposé, SMIC)
Nous avons bien pris connaissance du courrier du Ministre de l’Education Nationale, M. Gabriel ATTAL concernant les primes de fonction (90 euros en moyenne de plus en septembre depuis mai mais qui englobe la revalorisation automatique du SMIC et le revalorisation du point d’indice) et la prime inflation à venir (montant annoncé 500 euros pour le mois d’Octobre à vérifier dans les faits).
Cependant, nous avons rappelé à nos interlocuteurs, que cela ne répond pas à nos revendications. En effet, les primes qui nous sont proposées sont bienvenues pour notre revenu mensuel (900 euros en moyenne) au regard de l’inflation galopante mais ne suffisent pas à reconnaître les compétences et les efforts que nous fournissons au quotidien pour répondre aux besoins et situations d’urgence que nous sommes amené.e.s à gérer pour pallier au dysfonctionnement global de l’inclusion scolaire des élèves à besoins éducatifs particuliers.
En effet, au regard du retard des traitements de dossiers par la MDPH, à la non anticipation de recrutements d’AESH, et à la non existence d’une brigade de remplacement, nous sommes amené.e.s à accompagner dans une même classe, 4 à 5 élèves en moyenne (dont 1 ou 2 notifiés et les autres, en attente de notification), ce qui est contraire à nos missions.
Que par ailleurs, nos heures travaillées sont bloquées pour une grande majorité d’entre nous à une quotité de 62% d’un temps complet, qui comptabilise (selon un calcul hebdomadaire annualisé) 24 heures d’accompagnements élèves et 3h20 d’heures connexes (réunions, formation, préparation des adaptations pédagogiques). Or, nous sommes une grande majorité à exploser ce nombre d’heures, notamment en heures connexes (les formations en autonomie sur la multitude des troubles et handicaps auxquels nous sommes confrontés, les préparations des adaptations pédagogiques, les échanges avec nos collègues, et les parents, les réunions d’établissements…).
Nous sommes souvent contraint.e.s de cumuler plusieurs emplois pour parvenir à un revenu mensuel décent alors que pour réussir nos missions, et accompagner correctement les élèves dont on prend la responsabilité de l’inclusion, nous devrions être considérées comme travaillant à temps plein.
Nous n’exerçons pas une fonction d’animation ni de gestion administrative. Nous avons des compétences, des expériences et/ou des qualifications, et des savoir-être propres à notre métier. Et nous voulons être reconnu.e.s pour cela.
Ce qui nous amène à notre deuxième revendication nationale :
2. La création d’un véritable statut (formations et compétences)
Sur ce point, les revendications portées par les organisations syndicales divergent mais reviennent à une même nécessité : la création d’un statut d’emploi qui reconnaisse la réalité de la qualité requise pour l’exercice de notre métier.
Nous nous sommes appuyé pour développer notre argumentaire sur notre expérience et connaissance de terrain et sur une étude réalisée en 2009 par un collectif de sociologues en Seine Saint Denis et qui révèle, entre autres, que plus de 60% des AESH en exercice à ce moment-là, justifiaient d’un diplôme supérieur au niveau BAC (requis pour le recrutement) et que parmi cette tranche, 40% détiennent un niveau BAC+4 ou BAC +5. Ce qui ne sous-entend pas que nos organisations syndicales revendiquent un recrutement à un niveau d’étude supérieur, mais que force est de constater que notre salaire et notre statut ne prennent pas en compte les compétences et/ou qualifications qui sont nécessaires au bon fonctionnement du service.
Pour SUD Education, cela passe par la création d’un statut d’Educateur/trice Scolaire Spécialisé.e. Pour la FSU ou la CGT par la requalification de nos emplois en catégorie B et la création d’un corps spécifique de l’EN. Dans les deux cas, nous demandons la reconnaissance des exigences de notre emploi et la qualité du travail que nous fournissons au quotidien.
Pour le bien de l’ensemble de la communauté éducative, et dans l’intérêt des élèves et de leurs familles, les AESH doivent pouvoir bénéficier d’une formation à la hauteur des besoins. Nous ne bénéficions actuellement que d’une formation initiale de 60 heures, et de l’accès à une plateforme de formations à distance (Magistère), et d’une ou deux AESH référentes qui doivent répondre aux besoins et difficultés de centaines d’AESH sur le terrain ! Depuis le COVID, aucune formation en présentiel n’a été proposée, aucune visite d’établissement spécialisé, aucun temps d’échanges de pratiques collectif… Bref, pour nous former, nous courons les bibliothèques pour trouver des ouvrages spécialisés, nous assistons à des conférences à titre individuel, nous glanons des informations auprès d’associations spécifiques, nous nous connectons chacune dans notre coin à Magistère ! Et tout cela n’est ni rendu visible, ni légitimé, ni pris en compte dans notre temps de travail ou notre rémunération.
Enfin, nos candidatures sur la Plateforme d’Accès à la Formation (PAF) sont majoritairement refusées. Et pour les rares cas où elles sont acceptées, leur réalisation est quasiment rendue impossible (sur le temps de travail, décomptées de notre salaire, et nous ne sommes pas remplacé.e.s auprès des élèves).
Nous rappelons que nous devons faire face d’une année sur l’autre, parfois même au cours d’une même année à des handicaps aussi variés que complexes (Handicaps et/ou troubles moteurs, Troubles du Spectre Autistique, Troubles Déficitaires de l’Attention avec ou sans Hyperactivité, Troubles de l’acquisition du langage oral/écrit, Troubles visuels ou auditifs, Troubles des apprentissages mathématiques, Troubles du comportement, etc.) et que chaque élève accompagné est unique et nécessite une réadaptation de notre pratique.
Nous arrivons ainsi à notre troisième revendication :
3. L’abandon du projet de fusion des fonctions AED et AESH (ARE)
Pour toutes les raisons développées auparavant, nous refusons la fusion des emplois d’AED (Assistants d’Education) et des AESH (Accompagnants d’Elèves en Situation de Handicap) sous l’intitulé d’ARE (Assistants pour la Réussite Educative).
En effet, les missions de ces deux emplois correspondent à des tâches très différentes, voire incompatibles. Nous ne pouvons pas être à la fois des surveillants de la présence et de l’assiduité, et des interlocuteurs de confiance auprès des élèves et des familles. Nous ne pouvons pas être à la gestion administrative et à l’adaptation pédagogique. Nous ne pouvons pas être en formation et candidates à des concours et travailler pour emmener les élèves accompagnées vers l’autonomie ou les parcours adaptés.
Nous avons choisi de travailler auprès d’un public spécifique en situation de handicap et nous nous revendiquons comme tel.
4. Mettre fin aux PIAL (repenser l’organisation des services AESH)
Les Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés ont la responsabilité de la ventilation de service des AESH. Or, la gestion de ces pôles (souvent constitués d’un établissement du secondaire et de plusieurs établissements du primaire, ils regroupent sur Amiens 2 à 13 établissements) sont des missions supplémentaires confiées à des personnels qui occupent déjà un poste à temps plein (comme par exemple des chefs d’établissements ou leurs adjoints, enseignant.e.s ou professeur.e.s).
Outre la surcharge de travail que représente cette mission d’organisation de service pour les personnels qui l’acceptent, ces PIAL conditionnent l’exercice des fonctions d’AESH parfois sur de très nombreux établissements. Conséquence : une dégradation des conditions de travail (temps de trajets parfois très longs, impossibilité de remplir toutes les missions liées à l’accompagnement des élèves, réadaptations continues aux équipes et fonctionnement de chaque établissement, etc.).
4. Réponses et engagements de Monsieur le Recteur
Monsieur Pierre Moya nous a chaleureusement accueillies, et écoutées attentivement. Il s’est engagé à relayer nos revendications nationales auprès de sa propre hiérarchie (au niveau ministériel).
Par ailleurs, il nous a réitéré sa gratitude et reconnaissance pour tout ce que nous accomplissions au quotidien pour la réussite de l’inclusion scolaire et, en gage de sa considération et de son attachement à ce sujet, il nous a présenté le nouveau service rectoral en charge de la gestion administrative des personnels.
Il a rappelé que l’Académie d’Amiens faisait partie des académies les mieux dotées en termes de recrutement d’AESH et que la politique de CDIsation qu’il pilote au niveau académique vise à conforter un meilleur fonctionnement du service de l’Ecole inclusive et constitue une preuve de son attachement à la reconnaissance de notre statut. Que cela a nécessité le recrutement de trois nouvelles personnes pour la Division rectorale au service des AESH, et qu’il nous demande clémence et patience, pour permettre l’accompagnement à la formation professionnelle de ces agents pour la maîtrise de l’ensemble des sujets. Que les recrutements ont eu lieu de Juillet à Septembre et que le temps nécessaire à la mise en place et l’accomplissement de leurs missions expliquent (entre autres) l’échelonnement de la paie des AESH nouvellement CDIsées. En effet, ces personnes n’ont pu touché que 80% de leur salaire pour le mois de Septembre, le complément de salaire sera acquitté sur la paie d’Octobre. A cet égard, il nous a rappelé que les AESH pouvaient saisir la commission d’aide sociale pour toute problématique financière ponctuelle.
Il a demandé à Mme Catherine BELLET-LEMOINE d’attacher une grande importance à la question de la formation (individualisée en priorité). Et nous a rappelé que l’une de nos missions essentielles était d’emmener les élèves vers l’autonomie. Qu’il réitèrerait les envois de guides à tous les membres concernés pour rappeler le cœur de nos missions ainsi que nos conditions d’exercice de travail, et éviter de mettre nos collègues en porte à faux notamment en ce qui concerne les accompagnements d’élèves en attente de notification. A ce propos, il a reconnu que les temps de traitement des dossiers par la MDPH étaient extrêmement longs, mais qu’il en avait été informé tardivement, ce qui expliquerait le déficit de recrutement.
Par ailleurs, il nous a communiqué la volonté nationale de la mise en œuvre du PASS qui devrait à moyen terme se substituer aux actuels PIAL et enclencher le rapprochement des établissements médico-sociaux des établissements scolaires. Que ce projet était également porté et soutenu par la région et qu’une expérimentation était déjà en cours au niveau académique.
Enfin, il nous a sollicité pour faire remonter les situations et difficultés particulières que pouvaient rencontrer nos collègues. Et qu’il serait attentif à nos remarques de terrain.
Mme Bellet-Lemoine nous a communiqué les contacts à privilégier pour faire remonter les dysfonctionnements ou gênes rencontrées à un niveau individuel.
Nous avons conclu par notre attachement mutuel à l’inclusion scolaire et à notre métier, et nous avons convenu que de tels temps d’échanges ne pouvaient qu’être bénéfiques pour l’ensemble de la communauté éducative.
Pour tou.te.s,
Solidairement,
* Organisations syndicales locales signataires du tract appelant à ce rassemblement (FSU 80, CGT Educ’Action 80, FNEC-FP-FO et SUD Education 80)